Description du sujet de thèse

Le travail décrit dans ce qui suit mobilisera des compétences en microéconomie des marchés, modélisation mathématique, simulation basée-agents et analyse de données.
Contexte
Depuis le début des années 80, le poisson est passé du statut d’une ressource considérée comme infinie à une ressource en voie de raréfaction, sous la double pression des pratiques de sur-pêche et du dérèglement climatique. Selon le bilan 2023 fourni par l’Ifremer, seulement 56\% de la pêche française était considérée comme durable en 2022, le reste des débarquements provenant de populations de poisson non contrôlées ou de populations en surpêche, dont 2\% de populations effondrées (6540 tonnes). Pour protéger la renouvelabilité de la ressource, l’Europe renforce sa réglementation des pratiques de pêche, avec une politique stricte de taux admissibles de capture (TAC) qui déterminent les quotas. Il existe une littérature abondante en bio-économie mais peu de travaux existent en ce qui concerne l’adaptation des pêcheurs aux contraintes variables imposées par les besoins de préservation de la ressource. Il s’agira ici d’analyser les mécanismes d’interaction et de diffusion des pratiques (vertueuses ou non) inter-individuelles, intra et inter-marchés. C’est donc une analyse systémique que le doctorant devra mener, considérant comment, les comportements au niveau micro (des pêcheurs) influencent le niveau macro (le respect ou pas des taux admissibles de capture) et le niveau de préservation de la ressource dans les eaux françaises. De même le niveau macro influence les stratégies micro et il s’agira de comprendre comment.
Outils de modélisation
La modélisation mathématique de processus de diffusion est une thématique ancienne aux multiples travaux théoriques ou appliqués. La modélisation mathématique relève de deux grandes familles : celle des processus dit de réaction-diffusion, décrits par des équations aux dérivées partielles (EDPs), et celle des modèles épidémiologiques, tels que le modèle SIR (Susceptible-Infecté-Remis). Récemment, il a été établi que ces deux familles peuvent en fait être mathématiquement réunies dans un même cadre (Berestycki et al, 2022).
Les enjeux et les verrous. D’un point de vue socio-économique, la question que nous proposons de traiter recoupe des enjeux fondamentaux en termes de biodiversité, de sécurité alimentaire et aussi de viabilité économique pour le monde de la pêche. Le système d’allocations de quotas a des implications biologiques, économiques et sociales. Ses répercussions ont été évaluées par une littérature abondante en bio-économie ou en management des pêcheries. Les répercussions en termes de biodiversité ou sur le partage des richesses sont des points fondamentaux, dont la connaissance permet certainement d’améliorer les techniques de partage de la ressource (quotas, limitation de techniques de pêche). Mais à notre connaissance, les mécanismes micro-économiques que constituent les stratégies d’acceptation et/ou d’adaptation aux quotas ainsi que la façon dont ces stratégies diffusent ont été peu ou pas explorés Or ce sont bien les pêcheurs (artisans ou patrons de grandes pêcheries) qui décident, in fine, des stratégies à adopter et de la façon d’intégrer ces contraintes institutionnelles. Les pratiques de pêche et les capacités d’adaptation des pêcheurs à la variabilité de la ressource représentent donc un enjeu crucial de durabilité des ressources halieutiques.
Les objectifs. En analysant les marchés au poisson du Nord-Est de la France, nous considérons une double question. On s’interroge d’une part aux mécanismes de formation des prix sur ces marchés, ainsi qu’à la capacité des prix à réagir à la variation des quotas : comment se forment les prix et comment reflètent-ils l’évolution des quantités de poisson pêchées au fur et à mesure que les possibilités de pêche s’amenuisent, jusqu’à la fermeture annuelle des quotas ? On s’intéresse d’autre part aux mécanismes de diffusion (i) des comportements des pêcheurs (mon voisin pratique la surpêche, donc je fais de même), (ii) de diffusion d’un marché à l’autre (diffusion des prix). L’interaction entre pêcheurs est susceptible d’être mesuré à partir des quantités de surpêche mises en vente, analysées chronologiquement. En termes de théorie des jeux, les stratégies mobilisées sont soit compétitives soit coopératives. On regardera notamment : pendant combien de temps et à quel prix continue-t-on à pêcher après la fermeture des quotas ? Est-ce que cette adaptation se fait par marché (d’un vendeur à un autre) ou d’un marché à l’autre ? Quels sont les marchés qui « font » les prix et les quantités, y compris de surpêche ?
Il s’agira dans un premier temps d’obtenir des données par exemple auprès de FranceAgrimer mais aussi auprès de l’Europe. Par ailleurs des entretiens avec les acteurs du terrain et des acteurs institutionnels seront à mener, pour connaître au mieux les différentes réglementations et apprendre à comprendre les stratégies des acteurs. Dans un second temps il faudra proposer des modélisations mathématiques, d’une part par une approche multi-agent et d’autre part par une approche de type propagation épidémique. Il s’agira de coupler ces modèles avec une dynamique de formation des prix. Le choix précis de modèles résultera des conclusions de l’analyse de données. La pertinence de ces modèles avec et sans interactions (influences directe entre acteurs vs. uniquement adaptation aux prix) sera évaluée.
Interdisciplinarité : notre projet est fortement interdisciplinaire, entre économie, sociologie computationnelle, et modélisation mathématique, avec un important travail empirique.
Résultats attendus. Avoir une connaissance fine des stratégies d’adaptation des pêcheurs et tout particulièrement des dynamiques de diffusion de ces pratiques, devrait fournir un nouvel outil d’action publique pour mieux lutter contre les pratiques de surpêche, dans un cadre de politique de gestion des pêcheries européennes. Mieux connaître les pratiques des pêcheurs et les réseaux de diffusion de ces pratiques, devrait aider à mettre en place des espaces de négociation, entre représentants de la profession et instances nationales et européennes, dans un cadre de gouvernance participative, plus à même d’emporter l’adhésion des acteurs.

Contexte de travail

Cette recherche sera conduite dans le cadre d'un projet financé par le CNRS (Prime 80) et bénéficiera d'une coopération entre des chercheurs du CAMS (UMR 8557) -co-encadrement entre Annick Vignes et Jean-Pierre Nadal - et le centre Borelli, UMR 9010 (Argyris Kalogeratos et Julien Randon-Furling). Le/ la doctorant.e sera principalement basé.e au CAMS, avec des interactions régulières avec le Centre Borelli.
Le CAMS: unité mixte de recherche entre le CNRS et l'EHESS, est basé 54 bd Raspail, dans les locaux de l'EHESS. Ce centre de recherche porte une double ambition : celle de participer à la recherche mathématique internationale au meilleur niveau dans ses domaines de compétence et celle de remplir pleinement un rôle d’innovation, de diffusion et de passage à la fois de la mathématique, de l’informatique ou de la physique théorique, vers les sciences sociales et, en sens inverse, de problématisation mathématique ou informatique originale de questions venant des sciences sociales.
Le Centre Borelli: Unité mixte de recherche entre le CNRS et l'ENS Paris-Saclay, ce centre est situé dans les locaux de l'ENS Paris-Saclay, à Saclay. Très investi dans le transfert industriel, le domaine biomédical et les transformations de la société, le Centre Borelli réunit, dans une démarche de modélisation interdisciplinaire, des collectifs de recherche en mathématiques et informatique, en neurosciences et biologie, en sciences humaines et sociales.

Contraintes et risques

Le projet est interdisciplinaire et le ou la doctorant.e devra savoir interagir avec des chercheurs de différentes disciplines, tant au CAMS qu'au centre Borelli. Il devra aussi faire preuve d'adaptation à différents interlocuteurs en allant rencontrer des acteurs de terrain (pêcheurs, décideurs publics, ...).